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INTERVIEW : REZO, ÉTERNEL ARTISAN DU HIP-HOP ET ENCYCLOPÉDIE DU RAP RENNAIS (2/2)

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Suite de l’interview de Rezo. Après avoir discuté de son émission de radio, du Hip-Hop et surtout, de son album à venir, revenons maintenant sur la scène rennaise et sur l’évènement qui l’a célébrée à deux reprises cette année : Du Flow Sur La Breizh… 

Voir la première partie de l’interview

…Et il y en a toujours plus des rappeurs à plein temps apparemment, alors que paradoxalement, c’est de plus en plus dur de vivre de sa musique.

NDLR : pour comprendre de quoi on parle, voir la fin de la première partie de l’interview

Justement, c’est décomplexé. Avant, les mecs disaient « ouais, je vais devenir rappeur » . Maintenant c’est « ouais, je fais du rap » comme tu dirais « ouais, je vais jouer au foot » . Et pour les producteurs c’est cool, y a un vivier maintenant et le plus dur, c’est de dénicher la perle. Et puis bon, c’est plus facile aussi maintenant où tout le monde peut se faire un home-studio, dans un placard. J’dis ça parce que chez moi c’est dans un placard. J’ai tiré la couette rose de ma fille pour isoler le truc…

Et pour ceux qui n’ont pas les moyens de se faire un home-studio, est-ce qu’il y a un soutien de la ville ? Et plus généralement un soutien à la création musicale ?

Alors, y a le Bloc à la maison de quartier du Triangle, qui est le seul vrai endroit pas cher… Ca a été tenu pendant des années par Dj Deheb, producteur et DJ emblématique de la ville. Les jeunes y vont souvent mais y en a qu’un donc c’est souvent pris et après, les mecs se payent une heure de studio à la Licorne ou à droite à gauche. Ou alors ils vont chez des producteurs.

Moi je fais venir des mecs en leur demandant un peu de thunes. Certains me proposent de me payer en boulette, je leur dis que c’est pas possible (rires)… On essaye d’aider le truc. Certains m’ont même demandé si je pouvais les enregistrer à la radio, après l’émission. « Mais les gars vous savez pas que c’est pas du matos pour enregistrer ? », « bah ouais mais au moins ça enregistre …» . Sinon, d’autres prodos font aussi des enregistrements pour les gens, comme les Beat-TraderZ, et je trouve ça plutôt cool.

Et c’est pas dommage ce manque de soutien de la part de la ville ?

Ah ouais mais ça… C’est pas gagné hein. Pour le Rap ou pour les autres d’ailleurs. Le manque de structures ça existera toujours et pourtant, y a des villes où c’est franchement pire. Mais y a pas assez d’endroits à louer. Et ne serait-ce que pour aider les mecs pour la promo, etc. , y a pas forcément non plus. Même si le CRIJ est le point de départ que je conseille à tout le monde dans ces cas là, car là y a plein de gens, comme Naufalle et autres, qui vont expliquer tout de suite la démarche à suivre et te mettre les pieds sur terre, combien ça va te coûter, etc. Car comme dans tout, si t’as pas un minimum d’argent tu peux rien faire. Si, tu peux écrire ou composer sur ton ordi… Mais c’est tout.

Après, y a aussi des ateliers écritures. Les mecs de Micronologie passent leur temps dans les lycées à faire ça. On essaye tous à notre échelle d’apporter notre patte. Et la ville, elle s’occupe plus de ses riverains que des jeunes qui font chier quoi…

Revenons un peu sur la scène rennaise. De l’extérieur, on dirait qu’il y a eu une réelle évolution depuis quelques années. C’est illustré par une phrase du Bridging the Gap #1, où Safirius, de Micronologie, dit « ne pas confondre Hip-Hop old school et obsolète ».  Un avis là-dessus ?

La scène rennaise est quand même assez soudée, même si certains pensent le contraire, et je trouve que tout le monde s’entraide. Y a pas de jalousie ou de tension, il y a des connexions dans tous les sens, qui créent une vraie émulation. C’est ça qui fait qu’on arrive à évoluer positivement. Au lieu de rester chacun dans son coin à faire un son, on puise partout pour pouvoir grandir.

Ouais mais j’ai vraiment l’impression qu’il y a une explosion en terme de qualité. Après comme tu dis, ça tire de partout et on dirait que la scène rennaise grouille dans tous les sens…

Totalement, c’est hallucinant. En plus, ceux qui ont un peu moins de niveau peuvent se retrouver dans des groupes où il y a des mecs un peu meilleurs, ce qui les aide à évoluer. J’ai l’impression qu’on met tous notre genou pour que l’autre monte dessus, pour pouvoir grandir un peu. Après est-ce que je suis pas un peu dans mon rêve à cause de l’émission, que je faisais dans le but faire évoluer la scène rennaise… Donc de temps en temps j’ai l’impression de voir un pays de Bisounours alors que ça l’est pas du tout. Y a certainement des tensions mais généralement, c’est assez Zulu Nation quoi…

Cover compilation Rain City, sortie en mai 2012 et dispo ici

Et tu peux nous faire une sorte de cartographie de la scène rennaise aujourd’hui ?

Alors, par où commencer…?  Moi par exemple je m’identifie énormément à la musique que peuvent faire les Beat-Traders, qui sont un peu dans la même ambiance et qui bossent avec Alexel, N.O.S, et plein d’autres. Ils taffent sur un album solo qui va certainement faire très mal d’ailleurs…

C’est un peu aussi le rap plus funky, avec des mecs qui, étrangement, se retrouvent plus dans le centre-ville, avec les Micronologie, Artisanal, les Beat-TraderZ donc, Alexel, etc. Mais ça n’empêche pas les gars d’aller faire du son un peu plus violent, voir même Dirty, car on a Wesson et Fayçal  qui font eux du Dirty South, et ils le font super bien.

Après, dans le rap un peu plus « quartier » , ça marche aussi super bien avec des mecs comme Dadinio , super fort ou Enogy, qui est tout jeune et qui va faire super mal ! Y a une scène florissante à Villejean aussi. Ils sont bien structurés, font beaucoup de vidéos et sont très très supportés par leur quartier. J’ai vu des jeunes qui font pas forcément des tueries, mais qui les foutent sur Youtube et qui font 20 000 vues en deux semaines ! Tu te dis « merde, comment il a fait ? » .

Et puis le Rap Reggae bien sûr aussi, avec Kenyon, le son plus électro avec Netik  ou les mecs d’Ambitieux qui sortent des bombes… Eux, leur seul problème c’est que le Dubstep est arrivé un an après à Rennes, donc ils sont passé inaperçus. Ils tournaient sur des radios au Canada, en Allemagne, en Angleterre et en France personne n’en parlait…

Globalement, c’est pareil dans toutes les grandes villes sauf que je pense qu’on maîtrise vraiment le sujet dans tous les domaines.

Un mot sur Kenyon, qui commence à avoir pas mal de succès ?

Il m’éclate ce gars là… D’une, parce qu’il ne perd pas son authenticité. Je veux lui dire « courage ». On a fait une session d’enregistrement y a pas longtemps à la maison et il est épuisé de sa tournée. Il arrête pas… Et sinon, c’est une grosse fierté. Il brasse tellement de styles et il est tellement unique que c’était logique que ça marche. Il reste totalement ouvert à tout, aux connexions, aux jeunes… Un pur gars, y a pas à dire.

Et quelles sont, plus généralement, les connexions avec le « Grand Ouest » ?

C’est au feeling quoi.. La scène nantaise évidemment, où il y a du beau monde. Je sais qu’il y a beaucoup de choses sur Brest, mais je connais pas vraiment. C’est du rap assez dur, mais en même temps, la vie à Brest doit pas être facile tous les jours (rires). Angers, via Pepso et Dajanem, des potes, qui seront aussi sur l’album. Et d’ailleurs en parlant d’eux, ils vont être sur un autre morceau, qui vient d’être clippé, avec K.Oni, un gros gros freestyle. Pas pour l’album, juste pour le délire. K.Oni s’est pointé le jour de l’enregistrement du morceau pour l’album, et une fois qu’on a fini on a chillé, j’ai fait tourné des prods. Y en a un qui me dit « eh stop, tu t’arrêtes sur celle-là et tu la mets en boucle », et les mecs se mettent à écrire…

Et « Du Flow sur la Breizh » , c’est quoi ? Un moyen de consacrer un peu cette explosion du Rap à Rennes ?

Pfff… C’est de l’amusement. On a fait ça pour se marrer avec Jeff’. C’était l’été 2010, on est à la maison. Je suis dans un enregistrement. Jeff’ est là, on boit un peu, on est sur ma terrasse, on force sur le rosé, on a un coup de chaud, on tape des délires et c’est le plein avènement de Rap Contenders et tout ça, donc du coup, Jeff me dit « faudrait faire ça à Rennes. Avec les guguss qu’il y a dans la ville, on s’éclaterait.. » . Et bon, j’avais déjà trop de projet donc je lui dis de laisser tomber. Il insiste, mais me dit qu’il est pas animateur et qu’il a besoin de moi. Donc je lui dis : « tu sais quoi ? Tu fais tout, t’organises tout, et c’est bon, je viens » . Au moment où je dis ça, je suis persuadé qu’il le fera pas (rires), c’est un fainéant, hein Jeff’ ! Et ce con a tout fait, a tout organisé. Il m’appelle en m’annonçant la date, etc.

Rezo à Du Flow Sur La Breizh, photo par Bomber

Donc, chose promise chose due, on s’est lancé. La première était marrante sans avoir un niveau de dingues mais on s’est amusé. On a tout de suite été suivis par Macadam Basket et l’Artiste Assoiffé où se déroulent les soirées. La deuxième était vraiment d’un très bon niveau… Tellement bon que ça en parle un peu partout en France, que l’on s’est retrouvé à pousser les murs du bar tellement c’était noir de monde, donc on a vraiment kiffé. Pour la troisième, on s’était dit qu’il faudrait peut-être bouger mais on kiffe tellement le lieu qu’on va rester là en fait….

De toute façon, le lieu ajoute un truc. On aurait pu se dire ils « pompent » Rap Contenders, etc. Mais il y a quelque chose en plus, un côté « rennais » quoi..

Complètement, et c’était d’ailleurs un peu le clash qu’il y avait entre Jeff’ et moi. Moi je me demandais l’intérêt de faire un autre Rap Contenders, et lui me disait que l’ambiance de notre ville est spéciale. Et c’est vrai…

Même dans les punchlines, dans le public, on sent un truc particulier…

Y a un humour, une fusion, y a beaucoup moins d’agressivité. Et puis les mecs qui se clashent, trois jours après ils sont en studio ensemble… Drix et Pepso clashent ensemble en demi, et le lendemain ils ont enregistré ensemble chez Koolkal… Alors que c’était violent, ils se sont fait mal (rires). Et ils continuent à se balancer des vannes sur le net. Quand Pepso tape un coup de gueule, y a un toujours un mec qui est là pour lui dire « j’perds mon sang froid » (NDLR : à 11:37′) . Donc c’est bon quoi… Et du coup on s’est dit, bah merde quoi, on a créé un vrai truc alors que c’était juste une blague au départ.

Mais on se dit que le vivier rennais va vite s’essouffler, que mine de rien, y a quand même des effets sur l’ego et la fierté et que les plus têtes d’affiches Rennaises n’oseront pas y aller par peur de s’écorcher… Y a notamment eu le syndrome K.Oni, qui est l’un des gros rappeurs ici et qui durant la première édition s’est pris une giffle monstrueuse contre Boris D, un jeune rappeur. Donc ça a fait un peu peur et autant, la première édition, on a laissé les gens s’inscrire, la deuxième j’ai un peu démarché dans le but d’avoir un niveau plus haut et certains avaient un peu de stress… Ce qui est compréhensible, car se faire taper par un gamin, ça en met un coup à l’amour propre. D’ailleurs, on doit faire attention à ça pour la prochaine, car on a ramené des jeunes et qui étaient pas majeurs, et il nous faut des autorisations des parents… (rires)

Une date pour la troisième édition ?

On a des idées mais pareil, on veut peaufiner la sélection. L’été ça pourrait être génial, mais y a pas les étudiants. Donc plus certainement en septembre. Et on prend notre temps car on ne veut pas de clashs avec un niveau inférieur. On a un travail de prévention, « t’as envie de le faire ok, mais là tu risques vraiment de te taper une grosse honte » .

Rezo à Du Flow Sur La Breizh, photo par Bomber

Beaucoup de nouveaux participants dans la seconde édition par rapport à la première ?

Y a Keevrat qui a participé aux deux. Il est revenu d’ailleurs parce que je lui ai demandé mais l’un des participants a annulé à quelques jours du truc, donc Keevrat, qui est un bon pote à moi, a accepté. Bon, il avait une condition, ne pas tomber contre Deelay, qui avait gagné la première édition et… Tirage au sort : Keevrat vs. Deelay (rires). Il était pas hyper heureux…

Et sinon, à titre personnel, des choses que t’aimerais faire hors du Rap ?

A vrai dire, entre la radio, le beatmaking, les animations dans les soirées, j’ai l’impression de toucher à tout sans avoir jamais rien calculé. Donc non, je me laisse aller comme ça et de toutes façons, le jour où je serai fatigué j’arrêterai. En fait, mon délire serait d’arriver à valoriser une certaine scène. En France, t’as ceux qui écoutent du Rap français, ceux qui écoutent du Rap cainri et moi, je fais partie de cette petite scène du milieu : ceux qui font du rap cainri pour les Français et c’est pas évident.

D’ailleurs la connexion Doc Brrow / Rita J marche bien sur ce plan là.

Ouais elle marche bien, mais elle passe sur des radios en Allemagne et pas chez nous quoi…  Bon, on s’y attendait. Mais j’en ai une autre qui si elle marche devrait être très cool, mettant en avant Rennes et une autre ville des Etats-Unis. Mais j’attends qu’elle sorte pour en parler (rires).

Pour finir, des choses que t’as kiffé ces derniers temps, que tu recommandes aux lecteurs d’OSM ?

Clear Soul Force, Détroit, une tuerie. Mets en lien Get No Better (NDLR : on est plutôt obéissant chez OSM alors on le fait… Le clip ! ). The Regiment pareil. La dernière mixtape de M-Phaze, que j’ai encore dans le walkman et qui me rend dingue Mais j’aime pas que Détroit hein ! Dans les trucs rennais, le EP de Big Bro aussi, qui est ouf et qui raconte une vie entière. Mais bon, y en a tellement que ça va s’emmêler. Tiens regarde, je sors mon iPod pour checker.

Alors… Ah si, le projet de l’Asile, Lucio et le Da qui sont des Rennais et qui sont super forts. Leur truc est génial, très cohérent. Encore des Rennais quoi… Sinon, le projet de Guilty Simpson avec Eric Law, Kyo Itachi qui a sorti un gros truc avec Rusty Jux. Du Hip Hop de rockeur. C’est certainement le prodo français le plus influents aux Etats-Unis en ce moment, il a fait des albums avec LMNO, Dirt Platoon. Je lui passe le Big Up, c’est un pur gars, avec qui je parle souvent. D’ailleurs mec, j’espère que t’as trouvé comment faire passer ta MPC en 16 bits, parce que moi toujours pas…

Lucas pour OSM

Merci à Rezo et @Bomber (voir sa page Facebook) pour les photos illustrant les deux parties de l’interview


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